Dans le monde du TLD, le processus de montage des lunettes est entouré d’un halo ésotérique absolument inexplicable. Certains armuriers n’hésitent pas à demander des sommes obscènes pour une intervention qui dure essentiellement 15 minutes, et ils multiplient et diffusent des légendes avec le leitmotiv « c’est très, très compliqué ». A ce sujet, des mythes, les uns plus nocifs que les autres, se baladent sur Internet, dans toutes les langues que je peux comprendre, et en même temps, ne manquent pas les exemples d’optiques coûteuses tués à mort par excès de zèle du monteur.
Camarades, ne croyez pas tout ce qu’on vous raconte, mais croyez-moi : c’est vraiment très simple.
Choix du montage
Commençons par l’essentiel : le montage est choisi en fonction de la combinaison arme-lunette. Un montage « universel » n’existe pas.
Il existe deux types de montures : les anneaux individuels, qui sont fixés individuellement au rail, ou les monoblocs, où les mêmes anneaux sont fraisés ensemble sur une plate-forme rigide, qui est à son tour fixée au rail.
Au reste égal, un monobloc:
- Est plus rigide, ce qui est toujours une bonne chose.
- Peut être équipé d’une inclinaison intégrée, ce qui est très utile, surtout si le rail est plat sans inclinaison. Attention : dans ces cas-là, le montage a une direction claire (généralement une flèche « direction du canon »). Faites attention à cela, afin de ne pas monter accidentellement à l’envers, sinon l’inclinaison se retrouve dans le mauvais sens.
- Peut se faire en déporté (angl. « cantilever »), ce qui est parfois nécessaire pour monter la lunette à la distance optimale de l’œil (voir ci-dessous), lorsque la longueur du rail Picatinny est insuffisante (c’est-à-dire placer l’anneau là où le Picatinny n’est plus présent).
Les anneaux, en comparaison:
- Sont, en moyenne, un peu plus légers.
- Peuvent être réalisés plus bas (hauteur de l’axe optique au-dessus du rail) qu’un monobloc.
Si on recherche un montage über-bas (ce qui est, en principe, utile, il y a moins d’effet balançoire), ou si chaque gramme compte, optez pour les anneaux. Sinon, un monobloc. Je préfère les monoblocs, mais j’utilise aussi des anneaux pour certaines configurations spécifiques.
Alliage alu ou acier — cela n’a aucune importance.
Le dispositif « quick detach » (leviers manuels au lieu de vis) n’a de sens que (!) quand on risque vraiment d’en avoir besoin, par exemple au milieu d’une bataille épique contre une horde sanguinaire de Teletubbies Infernaux, vite retirer l’optique endommagée ou sale , pour pouvoir tout de suite continuer à faucher les bêtes immondes à la visée métallique. Dans tous les autres cas (quand il n’y a pas de visée métallique de secours, ou quand on peut trouver une minute pour dévisser deux vis), privilégier le montage à fixation classique, sans « quick detach », c’est beaucoup plus simple et beaucoup plus fiable.
Les anneaux au serrage vertical (où il y a des moitiés gauche et droite des colliers) sont à proscrire totalement, comme classe. Ils peuvent causer des problèmes graves et très difficiles à diagnostiquer (par exemple, le réglage de la parallaxe commence à faire des surprises). La voie de la Sagesse est « collier = moitié supérieure + moitié inférieure ». Ceci dit, les colliers/montures Spuhr avec un serrage à 45° fonctionnent également très bien.
Pour choisir le montage pour une combinaison particulière arme-lunette, adoptez, cher lecteur, une position de tir confortable et demandez à un camarade de tenir la lunette au-dessus du rail. Ceci pour :
a) Déterminer la hauteur de montage correcte et confortable (la joue est indexée sur l’appuie-joue de la crosse, sans pression excessive). Ce facteur peut être compensé dans une certaine mesure par un appuie-joue réglable en hauteur.
Il faut également en profiter pour s’assurer qu’avec la hauteur de montage choisie l’objectif (avec les capuchons) passe au-dessus du canon, que l’oculaire passe au-dessus du boîtier, et que tous les leviers de zoom et les tourelles de réglage ne gênent pas la course confortable de la poignée de charge et autres manips.
mais également
b) Voir, si la longueur du rail suffit pour que les colliers se retrouvent au bon endroit, ou faudrait-il un montage déporté.
Le facteur (b) n’est pas compliqué non plus. Chaque lunette de visée a une distance optimale entre la lentille de l’oculaire et l’œil. Pour les lunettes de visée traditionnelles (pas pour les « scouts »), cette distance se situe généralement entre 8 et 10 cm. À peu près à cette distance, l’image occupe tout l’espace à l’intérieur du tube. Si vous éloignez votre œil, ou si vous le rapprochez, des ombres commencent à apparaître sur les bords de l’image. Idéalement, la lunette doit être posée à la distance idéale — à mi-chemin entre les points où les ombres commencent à apparaître lorsqu’on se rapproche ou s’éloigne. Il convient également de noter qu’une position confortable de la tête en position de tir debout ou assis est plus reculée que lors du tir couché. Si il y a l’intention de tirer debout, fiers guerriers que nous sommes tous, il serait logique de vérifier la distance à l’oculaire dans cette position également.
Toutefois, lors de la sélection d’un montage, ce n’est pas la peine de trop s’attarder sur ce point ; le but à ce stade est simplement de savoir si un montage déporté est nécessaire.
Enfin, assurez-vous que le montage choisi dispose d’un espace suffisant pour le bloc central de la lunette (celui où il y a les tourelles de réglage en dérive et en élévation). Sur certains grands modèles, ce bloc pend 6 à 7 mm en-dessous du tube – il ne doit pas toucher le rail ou la base du monobloc. Cela vaut une attention particulière dans le cas de monoblocs relativement bas.
La procédure
Étape 1: Monter la lunette dans les colliers sans les serrer, pour que ça ne tourne pas tout seul, mais pour qu’on puisse encore bouger la lunette à l’intérieur sans efforts.
Étape 2: Placer le tout sur le Picatinny et, en déplaçant l’ensemble dans les slots du rail et la lunette à l’intérieur des collier, régler la distance optimale à la pupille de sorte qu’aucune ombre n’apparaisse autour de l’image dans toutes les positions de tir prévues.
Avant de commencer, réglez la lunette sur le grossissement maximal, car c’est là, en règle générale, que la distance à la pupille est la plus capricieuse. Au cours du processus, il est utile de vérifier la distance trouvée en faisant des aller-retours avec la bague de grossissements (selon le système optique, la distance à la pupille peut varier avec le changement de grossissement).
Les colliers ne doivent pas toucher les parties du tube où il s’élargit. Idéalement, ils doivent se trouver à 5 mm ou plus du bloc central, de la partie oculaire et de l’élargissement de la partie objectif.
Si les colliers séparés sont utilisés, et si il y a de l’espace pour manœuvrer, on peut écarter les colliers plus loin l’un de l’autre – ainsi, le levier de la force du recul agissant sur la lunette est minimisé. Je précise au cas où : sauf pour les instruments très légers, la lunette doit être montée sur deux colliers (et non sur un seul), placés des côtés différents du bloc central.
Lorsque la distance correcte à la pupille est trouvée, on pousse le monobloc ou les anneaux le plus en avant possible à l’intérieur des slots Picatinny qu’ils occupent, et on les fixe dedans avec les vis – en serrant à la main avec deux doigts, sans forcer, juste pour éviter qu’ils ne bougent (nous reviendrons plus tard sur le serrage final). En effet, les slots Picatinny sont fabriquées avec une certaine tolérance. Si l’ensemble, supposons-le, est à l’arrière du slot, lorsque qu’un coup est tiré, le fusil recule brusquement en arrière, et, par conséquent, l’ensemble du montage commence à glisser dans son slot vers l’avant. À un moment ou à un autre, bien sûr, ça se cale et se stabilise, mais sur le chemin vers l’avant il peut y avoir des surprises désagréables avec la dispersion et la position du zéro.
Étape 3: aligner la lunette horizontalement. Bonne nouvelle: les fils à plomb et les niveaux à bulles sont inutiles. Il suffit d’une barre métallique rigide aux côtés parallèles, comme, par exemple, la partie portante d’un pied à coulisse ou une règle de serrurier en acier.
Illustration 1: la lunette est de travers.
Illustration 2: on introduit la barre métallique aux cotés parallèles entre la lunette et le montage.
Illustration 3: on la met en biais entre le bas du boîtier de réglage de la lunette et le haut du montage/rail. On tourne la lunette pour rendre les deux surfaces parallèles (éliminer le jour entre la règle mise en biais et les pièces).
C’est tout. Cette méthode, pleine de Beauté, de Vérité, mais surtout de simplicité et d’efficacité, vient d’un manuel Era-Tac. Si le rail est monté droit sur le fusil (la surface supérieure du Picatinny est bien dans les axes du boîtier), ça donne exactement les mêmes résultats que le chamanisme avec les niveaux à bulle. Si le rail est monté un peu de travers (ce qui arrive parfois), cette méthode donne en pratique moins(!) d’erreur (parallaxe horizontal entre l’axe du canon et l’axe de l’optique) que les bulles et les cordes.
Une fois horizontale, la lunette est légèrement fixée dans les colliers par les vis. L’objectif est d’éviter toute rotation accidentelle. Le mot clé est « légèrement ». La force de deux doigts sur un tournevis fin est plus que suffisante.
Étape 4: Serrer la lunette dans les colliers.
IMPORTANT : lors du montage de la lunette, l’essentiel est de ne pas trop serrer les anneaux. Trop de gens serrent les vis à fond aussi fort qu’ils le peuvent. Cette erreur est la cause la plus fréquente de problèmes graves et difficiles à diagnostiquer (impossibilité de focalisation, zoom capricieux, etc.), qui peut, dans les cas extrêmes, être carrément fatale pour la lunette. Lisez les instructions – d’habitude les fabricants de lunettes indiquent le serrage maximal recommandé, généralement dans la fourchette 1,7-2,0 Nm. Pour ceux qui tomberaient sur les instructions écrites dans le système archaïque de poids et mesures pour les tireurs du Liberia, 1 Nm = 8,85 in*lbf.
Personnellement, je prends 1.8 Nm comme valeur standard « par défaut ».
AVERTISSEMENT: Sauf indication explicite du fabricant dans les instructions, ne pas dépasser le couple de 2 Nm !
ATTENTION: 2 Newton-mètres au toucher peut sembler très peu, et on peut être tenté de donner encore un petit coup « juste pour être sûr » – il ne faut pas céder à la tentation. Une clé dynamométrique est fortement recommandée !
Serrer en X progressivement toutes le vis, pour garder à peu près (à l’œil) le même espace entre le haut et le bas des colliers des deux cotés.
Étape 5: Fixer le montage dans le rail.
Le conseil est le même : ne pas s’acharner sur le métal. Avec des monteurs particulièrement zélés, j’ai vu des filetages arrachés, du dural cassé et de l’acier plié plus d’une fois. Plus fort ne signifie pas plus fiable.
5-6 Nm est tout à fait suffisant pour une fixation impeccable.
Remarques finales en vrac
Toute sorte de « rodage » ou « usinage final » des anneaux, au mieux n’améliore rien, et, dans la plupart des cas, est carrément nocif. Si le montage est de travers (ce qui, à part les produits airsoft en merdonium appauvri, est de plus en plus rare), il faut le jeter et acheter un correct. La coaxialité peut être vérifiée en plaçant une règle en acier sur les moitiés inférieures des colliers (dans le cas de colliers séparés – montée sur un rail). Pas de jour visible = alignement ok.
Un frein-filet n’est nécessaire que pour les fusils entièrement automatiques ou les fusils gros calibre (magnums de toutes sortes). Dans ces cas, un peu de Loctite bleue (ou similaire) suffit pour permettre le démontage sans chauffer. Et encore, en règle générale, c’est de la surassurance. Avant d’appliquer le frein-filet, les vis doivent être dégraissées à l’alcool. Pour moi le « gros calibre » commence à .338 LM. Pour les calibres « normaux » (jusque à 30-06, 8 Mauser, etc.) le frein-filet est superflu (mais ne dérange pas non plus).
ACHTUNG: toutes sortes de colles a époxy ou Loctites « fortes » (celles qui nécessitent un chauffage pour le démontage) sont un Mal pur (aussi bien sur les vis que dans tous les autres endroits), et sont toujours une source profonde, variée et inépuisable de drames.
Si vous montez une lunette sur un über-magnum ou une arme automatique, vous pouvez légèrement saupoudrer l’intérieur des anneaux avec de la fine poussière de colophane – elle a un coefficient de friction extrêmement élevé, et assure une tenue impeccable, même avec des calibres éléphant. La colophane s’achète à pas cher, par exemple, dans les magasins de musique (rayon « instruments à corde », vers les violons et les violoncelles), et, au besoin, s’enlève facilement avec de l’alcool. Avec des calibres moins vivifiants (jusque à 8 mm Mauser, compris), la colophane est totalement superflue.